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CPI : les plaidoiries s’achèvent dans l’affaire Said

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Du 25 au 26 novembre 2025, la Cour pénale internationale a tenu les plaidoiries finales dans l’affaire Le Procureur c. Mahamat Said Abdel Kani, premier procès visant un dirigeant présumé de la coalition Séléka pour crimes commis en 2013 en République centrafricaine. Les juges de la Chambre de première instance VI entrent désormais en délibéré sur des accusations de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre liés au centre de détention de l’OCRB à Bangui.

Un procès emblématique du conflit centrafricain

Le procès de Mahamat Said Abdel Kani, ancien commandant présumé de la coalition rebelle Séléka et ex-directeur de l’Office central de répression du banditisme (OCRB) à Bangui, est entré dans sa phase finale devant la Cour pénale internationale (CPI). Les plaidoiries de clôture se sont tenues au siège de la Cour, à La Haye, du 25 au 26 novembre 2025, devant la Chambre de première instance VI. Les juges vont désormais délibérer avant de rendre un jugement sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, en application de l’article 74 du Statut de Rome.

Cadre procédural et composition de la Chambre

L’affaire Le Procureur c. Mahamat Said Abdel Kani s’inscrit dans la situation en République centrafricaine (RCA), ouverte par la CPI en 2014 à la suite des violences généralisées ayant suivi la prise de pouvoir de la Séléka en 2013. Mahamat Said, né en 1970 à Bria, a été arrêté par la MINUSCA en janvier 2021, transféré à Bangui puis remis à la CPI le 24 janvier 2021. Son procès s’est ouvert le 26 septembre 2022, l’accusé plaidant non coupable à l’ensemble des charges.

La Chambre de première instance VI est composée de la juge Miatta Maria Samba (présidente), de la juge María del Socorro Flores Liera, du juge Sergio Gerardo Ugalde Godínez et du juge Keebong Paek en qualité de juge suppléant. À l’issue des plaidoiries, la Chambre a indiqué qu’elle entamait ses délibérations et rendrait sa décision « dans un délai raisonnable », conformément aux exigences du Statut et de la jurisprudence de la Cour.

Les charges : crimes contre l’humanité et crimes de guerre

Mahamat Said est poursuivi pour des faits commis en 2013 à Bangui, alors qu’il exerçait un contrôle sur l’OCRB, utilisé comme centre de détention par les forces Séléka après la chute du président François Bozizé. Selon l’Acte d’accusation et les fiches d’information de la CPI, il est mis en cause pour :

  • Crimes contre l’humanité : emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté, torture, persécution et autres actes inhumains, commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre la population civile.
  • Crimes de guerre : torture, traitements cruels et atteintes à la dignité de la personne (outrages à la dignité), dans le contexte d’un conflit armé non international opposant la Séléka aux milices anti-balaka.

Les victimes auraient été ciblées en raison de leur appartenance réelle ou supposée au camp de l’ancien président Bozizé, mais aussi sur des critères politiques, ethniques ou religieux, nombre d’entre elles étant de confession chrétienne. Les faits allégués incluent détentions arbitraires, passages à tabac, tortures, viols, disparitions forcées et conditions de détention inhumaines au sein de l’OCRB.

Les plaidoiries du Procureur et des représentants des victimes

Thèse de l’Accusation

Lors des plaidoiries finales, le Bureau du Procureur, représenté notamment par le procureur adjoint Mame Mandiaye Niang, a soutenu que Mahamat Said exerçait un contrôle effectif sur l’OCRB et sur le sort des détenus. Selon l’Accusation, la preuve documentaire et testimoniale démontrerait que :

  • l’OCRB constituait un maillon central de l’appareil répressif de la Séléka à Bangui en 2013 ;
  • les détenus y étaient systématiquement soumis à des violences physiques et psychologiques, à des interrogatoires sous la torture et à des conditions de détention dégradantes ;
  • Mahamat Said n’était pas un simple exécutant, mais un dirigeant qui a ordonné, facilité ou toléré ces crimes, y participant parfois personnellement.

Le Procureur a insisté sur le caractère ciblé des violences, visant des opposants présumés et des civils perçus comme hostiles à la Séléka, ce qui, selon lui, satisfait aux éléments contextuels des crimes contre l’humanité. Il a également rappelé que l’affaire Said est la première devant la CPI à viser un dirigeant Séléka, complétant ainsi le volet déjà jugé concernant les milices anti-balaka.

Participation des victimes

Les représentants légaux des victimes ont, pour leur part, mis en avant l’ampleur des souffrances subies, notamment les violences sexuelles, les disparitions forcées et les traumatismes durables. Ils ont souligné l’importance de la reconnaissance judiciaire des faits, tant pour les victimes directes que pour les communautés affectées par les exactions de 2013, dans un contexte où l’impunité demeure un enjeu majeur en RCA.

La stratégie de la Défense

La Défense de Mahamat Said conteste la fiabilité et la suffisance des éléments de preuve. Dès l’ouverture du procès, son conseil, Me Jennifer Naouri, a dénoncé un récit « biaisé » des événements en RCA, reprochant au Procureur de s’être appuyé sur un nombre limité de témoins et sur des sources jugées peu représentatives de la complexité du conflit.

Au fil de la procédure, la Défense a cherché à démontrer que :

  • le rôle effectif de l’accusé au sein de la Séléka et à l’OCRB était plus limité que ne le prétend l’Accusation ;
  • certains témoins à charge seraient peu crédibles ou influencés par le contexte politique et sécuritaire ;
  • les autorités nationales et d’autres acteurs armés auraient également commis de graves violations, rendant injuste une focalisation exclusive sur l’accusé.

La Défense a aussi mis en avant les difficultés rencontrées pour mener ses propres investigations sur le terrain, invoquant des contraintes sécuritaires et logistiques, ainsi que des retards dans l’accès à certains éléments de preuve.

Enjeux juridiques et politiques du jugement à venir

Complémentarité avec les procédures en RCA

Le dossier Said s’inscrit dans un paysage judiciaire fragmenté, où coexistent la CPI, la Cour pénale spéciale (CPS) de Bangui et les juridictions nationales ordinaires. Alors que la CPI a récemment condamné deux dirigeants anti-balaka pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, l’affaire Said permet de documenter et de juger les crimes imputés au camp Séléka, répondant ainsi aux critiques de « justice à sens unique ».

Le jugement à venir pourrait servir de référence jurisprudentielle pour la qualification des violences commises dans des centres de détention contrôlés par des groupes armés non étatiques, ainsi que pour l’appréciation de la responsabilité pénale individuelle de commandants intermédiaires dans des contextes de conflits internes.

Impact sur la lutte contre l’impunité

Au-delà du cas d’espèce, l’issue du procès Said aura une portée symbolique importante pour les victimes du conflit centrafricain et pour la crédibilité de la CPI en Afrique centrale. Une condamnation renforcerait le message de lutte contre l’impunité adressé aux acteurs armés encore actifs en RCA. Une éventuelle acquittement, quant à lui, mettrait en lumière les exigences probatoires élevées de la justice pénale internationale et pourrait relancer le débat sur la capacité de la CPI à enquêter efficacement dans des contextes de grande insécurité.

Dans l’attente du jugement, la Chambre de première instance VI devra trancher des questions sensibles relatives à l’évaluation de témoignages parfois contradictoires, à la qualification des violences commises à l’OCRB et à l’articulation entre responsabilité de commandement et participation directe aux crimes. Sa décision contribuera à préciser encore la jurisprudence de la CPI en matière de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis dans le cadre de conflits armés non internationaux.

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