Le 28 novembre 2025, la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI) a confirmé le refus de mise en liberté provisoire de l’ancien président philippin Rodrigo Duterte, détenu à La Haye pour crimes contre l’humanité en lien avec sa « guerre contre la drogue ». Les juges ont jugé que son âge et son état de santé ne suffisaient pas à neutraliser les risques de fuite, de pression sur les témoins et de réitération des crimes.
Une décision de la Chambre d’appel qui confirme la détention
Le 28 novembre 2025, la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI), siégeant à La Haye, a rejeté à l’unanimité l’appel formé par la défense de Rodrigo Roa Duterte contre la décision de la Chambre préliminaire I refusant sa mise en liberté provisoire (interim release). La décision a été lue en audience publique par la juge Luz del Carmen Ibáñez Carranza, présidente de la Chambre d’appel dans cette affaire.
L’ancien président philippin, âgé de 80 ans, est détenu au centre de détention de la CPI, au sein du complexe pénitentiaire de Scheveningen, depuis son arrestation et son transfert à La Haye le 12 mars 2025, dans le cadre de poursuites pour crimes contre l’humanité liés aux exécutions extrajudiciaires commises dans le cadre de la « guerre contre la drogue ».
Contexte procédural : de la Chambre préliminaire à la Chambre d’appel
La décision de la Chambre préliminaire I du 26 septembre 2025
Le 26 septembre 2025, la Chambre préliminaire I avait rejeté une première demande de mise en liberté provisoire de Rodrigo Duterte. Elle avait considéré que les conditions de l’article 58, paragraphe 1, b) du Statut de Rome demeuraient remplies : risque de fuite, risque d’entrave à l’enquête ou à la procédure, et risque de poursuite ou de réitération des crimes reprochés.
Les juges avaient relevé notamment :
- l’opposition publique de Rodrigo Duterte à son arrestation, qualifiée de « kidnapping » ;
- les déclarations de membres de sa famille, dont la vice‑présidente Sara Duterte, évoquant la possibilité de le « faire sortir » du centre de détention de la CPI ;
- le maintien de réseaux politiques et de soutiens susceptibles de faciliter une évasion ou de faire pression sur des témoins ;
- le risque de poursuite ou de réitération de crimes relevant de la compétence de la CPI s’il retrouvait une capacité d’action politique.
La Chambre préliminaire avait également jugé insuffisantes les garanties offertes par un État tiers prêt à accueillir l’ancien président sous conditions (surveillance électronique, obligations de résidence, etc.), estimant que ces mesures ne neutralisaient pas les risques identifiés.
L’appel de la défense : trois moyens rejetés
Le 14 octobre 2025, la défense de Rodrigo Duterte a interjeté appel de cette décision, articulant trois moyens principaux :
- erreur de droit et d’appréciation dans la qualification de Rodrigo Duterte comme risque de fuite ou de danger pour l’intégrité de la procédure ;
- erreur dans l’appréciation et le rejet des garanties offertes par l’État disposé à le recevoir ;
- défaut de prise en compte suffisante des considérations humanitaires, au regard de son âge avancé (80 ans) et d’un état de santé présenté comme « infirme » et « affaibli », incluant des allégations de déclin cognitif.
Lors de l’audience du 28 novembre 2025, Rodrigo Duterte n’était pas présent, ayant formellement renoncé à son droit d’assister à la lecture de l’arrêt par un écrit adressé à la Chambre d’appel. Il était représenté par son conseil, Me Nicholas Kaufman.
Les motifs de la Chambre d’appel : risques persistants et humanitaire insuffisant
Confirmation de l’appréciation des risques par la Chambre préliminaire
La Chambre d’appel a confirmé que la Chambre préliminaire avait procédé à une appréciation « complète » et « spécifique au cas » des risques au sens de l’article 58, paragraphe 1, b) du Statut de Rome. Elle a jugé que la défense n’avait pas démontré d’erreur manifeste dans :
- l’évaluation du risque de fuite, compte tenu du statut de Rodrigo Duterte comme ancien président de la République et de sa réélection comme maire de Davao City en mai 2025, révélatrice d’une influence politique persistante ;
- l’appréciation du risque d’entrave à la justice, à la lumière de documents et sources publiques faisant état de tentatives ou d’incitations à dissuader des témoins de coopérer avec les enquêtes ;
- la conclusion selon laquelle les garanties offertes par l’État tiers ne suffisaient pas à atténuer ces risques.
La Chambre d’appel a rappelé que, si la liberté demeure le principe, la détention provisoire est possible lorsque les conditions strictes prévues par le Statut sont réunies et que des mesures moins intrusives ne permettent pas de protéger efficacement la procédure et les victimes.
Âge et santé : des considérations humanitaires non déterminantes
Sur le troisième moyen, la Chambre d’appel a précisé que la Chambre préliminaire n’avait pas refusé par principe de prendre en compte des considérations humanitaires, mais avait estimé que, dans ce cas précis, les éléments fournis par la défense ne suffisaient pas à justifier une mise en liberté provisoire.
Les juges d’appel ont souligné que :
- les risques identifiés au titre de l’article 58, paragraphe 1, b) n’étaient pas neutralisés par l’âge ou l’état de santé allégués de l’intéressé ;
- les conditions de détention à Scheveningen permettent l’accès à des soins médicaux adaptés ;
- les considérations humanitaires ne peuvent, en l’absence d’éléments médicaux décisifs, l’emporter sur des risques sérieux pour l’intégrité de la procédure et la sécurité des témoins.
La Chambre d’appel a donc confirmé intégralement la décision attaquée, maintenant Rodrigo Duterte en détention dans l’attente de la suite de la procédure, notamment la question pendante de son aptitude à être jugé.
Enjeux juridiques : détention provisoire, sécurité des témoins et symbolique de la lutte contre l’impunité
La détention provisoire devant la CPI : un contrôle périodique
En vertu du Statut de Rome et du Règlement de procédure et de preuve, la détention d’une personne mise en cause devant la CPI doit être réexaminée au moins tous les 120 jours. À chaque révision, la Chambre préliminaire doit vérifier si les conditions de l’article 58 demeurent remplies ou si un changement de circonstances justifie une mise en liberté, éventuellement assortie de conditions.
La décision du 28 novembre 2025 ne ferme donc pas la porte à de futures demandes de réexamen, que ce soit à l’initiative de la défense ou du Bureau du Procureur, notamment en cas d’évolution significative de l’état de santé de Rodrigo Duterte ou du contexte politique aux Philippines.
Protection des témoins et confiance des victimes
Les représentants des victimes, notamment l’Office du conseil public pour les victimes (OCPV) et des organisations d’avocats philippins, ont salué la décision comme une garantie essentielle pour la sécurité des témoins et la confiance des victimes dans le processus judiciaire. La détention est perçue comme un signal que la Cour prend au sérieux les risques d’intimidation et de subornation de témoins dans des affaires impliquant des dirigeants politiques encore influents.
Un jalon dans la responsabilité pénale des anciens chefs d’État
Au‑delà du cas philippin, la décision de la Chambre d’appel s’inscrit dans la jurisprudence de la CPI relative à la détention provisoire de hauts responsables politiques accusés de crimes internationaux graves. Elle confirme que ni la qualité d’ancien chef d’État, ni l’âge avancé, ni un état de santé fragilisé ne constituent, en eux‑mêmes, des motifs suffisants pour écarter la détention lorsque subsistent des risques sérieux pour la bonne administration de la justice internationale.
Dans le dossier Duterte, la CPI réaffirme ainsi sa compétence à l’égard de crimes commis alors même que les Philippines ont notifié leur retrait du Statut de Rome en 2019, dès lors que les faits allégués se situent dans la période où l’État était partie au Statut et que la procédure avait déjà été engagée. La décision du 28 novembre 2025 marque une étape supplémentaire vers un éventuel procès sur les crimes contre l’humanité reprochés à l’ancien président pour les milliers de morts de la « guerre contre la drogue ».





