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Soudan : le Conseil de sécurité hausse le ton

Sommaire

Le 30 octobre 2025, les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies ont condamné l’assaut des Forces de soutien rapide (RSF) contre la ville d’El Fasher, en rappelant les obligations des parties au regard du droit international humanitaire et en appelant à un cessez-le-feu et à un processus politique inclusif. Cette prise de position s’inscrit dans une séquence de résolutions et de déclarations qui visent à encadrer juridiquement un conflit marqué par des violations massives des droits humains et des crimes de guerre présumés.

Une condamnation ferme de l’assaut des RSF sur El Fasher

Le 30 octobre 2025, les membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont publié une déclaration condamnant l’assaut lancé par les Forces de soutien rapide (RSF) contre El Fasher, capitale du Nord-Darfour. Selon cette déclaration, les membres du Conseil « condamnent les atrocités signalées » commises par les RSF contre la population civile, notamment des exécutions sommaires et des détentions arbitraires, et expriment leur « grave préoccupation » face au risque accru d’atrocités à grande échelle, y compris à caractère ethnique.1

Cette prise de position intervient alors que les RSF, issues des milices janjawid, ont progressivement resserré leur emprise sur El Fasher depuis le siège entamé en 2024, avant de s’emparer de la ville à l’automne 2025. Les agences onusiennes et les ONG font état de massacres, de violences sexuelles, d’attaques contre les hôpitaux et d’un exode massif vers la ville de Tawila et d’autres zones rurales.2

Un rappel appuyé au droit international humanitaire

Dans sa déclaration d’octobre 2025, le Conseil de sécurité renvoie explicitement à la résolution 2736 (2024), qui exigeait déjà des RSF la levée du siège d’El Fasher et un arrêt immédiat des combats dans et autour de la ville.1 Cette continuité normative est importante pour les praticiens du droit international : elle permet de situer la déclaration dans une chaîne d’actes successifs du Conseil, qui renforcent les obligations des parties au conflit.

Les membres du Conseil rappellent notamment :

  • l’interdiction des attaques dirigées contre les civils et les biens de caractère civil ;
  • l’obligation de garantir un accès humanitaire sûr et sans entrave ;
  • la protection du personnel humanitaire, des installations médicales et des convois d’aide, en cohérence avec la résolution 2730 (2024) sur la protection des humanitaires ;3
  • le fait que les attaques délibérées contre le personnel humanitaire et les infrastructures médicales peuvent constituer des crimes de guerre.

Ces rappels s’inscrivent dans un contexte de violations répétées : le Conseil avait déjà condamné, le 31 janvier 2025, les « assauts intensifiés » des RSF contre El Fasher et l’attaque du 24 janvier contre l’hôpital maternel d’enseignement saoudien, qui aurait fait plus de 70 morts parmi les patients et leurs proches.4 Le 12 juin 2025, il condamnait encore une attaque contre un convoi humanitaire conjoint PAM–UNICEF et le bombardement d’un dépôt du PAM à El Fasher.3

Protection des civils et accès humanitaire : des obligations précises

Le cadre applicable : droit international humanitaire et droits de l’homme

Le conflit soudanais, opposant principalement les Forces armées soudanaises (SAF) aux RSF depuis avril 2023, est généralement qualifié de conflit armé non international. À ce titre, les Conventions de Genève de 1949, leur article commun 3, ainsi que le droit international humanitaire coutumier s’appliquent. Le Conseil de sécurité rappelle d’ailleurs que les parties doivent respecter le droit international humanitaire et, le cas échéant, le droit international des droits de l’homme.3,4

Les obligations pertinentes incluent notamment :

  • l’interdiction des attaques indiscriminées ou disproportionnées ;
  • l’interdiction des exécutions sommaires, de la torture, des violences sexuelles et des disparitions forcées ;
  • l’obligation de permettre et de faciliter un passage rapide et sans entrave des secours humanitaires impartiaux ;
  • la protection renforcée des établissements de santé, du personnel médical et des transports sanitaires.

Une situation humanitaire qualifiée de « terrifiante »

Les agences onusiennes décrivent El Fasher comme l’épicentre d’une crise humanitaire extrême. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) et d’autres entités de l’ONU ont alerté, dès janvier 2025, sur le risque d’offensive imminente et appelé les parties à protéger les civils et à revenir au dialogue.5 En octobre 2025, le Coordonnateur des secours d’urgence a parlé d’une situation « terrifiante », évoquant des centaines de milliers de civils piégés, privés de nourriture, de soins et de voies de fuite sûres.6

Le système humanitaire enregistre des attaques répétées contre les hôpitaux et les structures de santé, culminant avec le massacre dans l’hôpital saoudien d’El Fasher et la destruction de la dernière grande structure hospitalière de la ville.2 Les organisations humanitaires signalent également des violences systématiques contre les personnes tentant de fuir, des violences sexuelles à large échelle et des entraves persistantes à l’accès humanitaire vers El Fasher et les camps de déplacés voisins, notamment Zamzam.7

Responsabilité pénale internationale et rôle de la CPI

La situation au Darfour est sous enquête de la Cour pénale internationale (CPI) depuis le renvoi opéré par le Conseil de sécurité en 2005 (résolution 1593). Le Bureau du Procureur a, à plusieurs reprises, indiqué que son mandat couvre non seulement les crimes commis dans les années 2000, mais aussi les crimes plus récents liés au conflit actuel, y compris ceux imputés aux RSF et à leurs alliés.8

Les faits rapportés à El Fasher – exécutions sommaires, attaques généralisées contre des civils, violences sexuelles, attaques contre des hôpitaux et des convois humanitaires – relèvent potentiellement des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité au sens du Statut de Rome. Le Conseil de sécurité, dans ses déclarations de 2025, insiste sur la nécessité de rendre des comptes et rappelle que les auteurs de violations graves devront répondre de leurs actes.3,4

Vers un cessez-le-feu et un processus politique inclusif ?

Au-delà de la condamnation de l’assaut sur El Fasher, les membres du Conseil appellent les parties à :

  • mettre fin immédiatement aux hostilités dans et autour d’El Fasher ;
  • garantir la protection des civils et des infrastructures civiles ;
  • assurer un accès humanitaire sûr et sans entrave ;
  • reprendre des pourparlers en vue d’un cessez-le-feu durable et d’un processus politique inclusif, en cohérence avec la Déclaration de Jeddah et les initiatives régionales et internationales existantes.1,3,5

Sur le plan juridique, ces appels ne créent pas en eux-mêmes de nouvelles obligations substantielles, mais ils renforcent la pression politique et contribuent à préciser le contenu des obligations existantes, notamment en matière de protection des civils et d’accès humanitaire. Ils pourront également être mobilisés ultérieurement dans l’analyse de la responsabilité internationale de l’État soudanais et de la responsabilité pénale individuelle des dirigeants des RSF et d’autres acteurs impliqués.

Pour les praticiens du droit international, la séquence des résolutions et déclarations du Conseil de sécurité sur El Fasher illustre la manière dont l’organe tente de répondre, par des instruments essentiellement déclaratoires mais juridiquement informés, à une situation de crise où les violations graves du droit international humanitaire et des droits de l’homme sont massives, documentées et susceptibles de poursuites devant la CPI.

Notes :
1. Déclaration des membres du Conseil de sécurité sur l’assaut des RSF contre El Fasher, 30 octobre 2025 (compte rendu par la presse internationale).
2. Voir notamment les rapports de presse et d’ONG sur la prise d’El Fasher par les RSF et les attaques contre les hôpitaux et les civils à l’automne 2025.
3. Conseil de sécurité, déclaration à la presse sur le Soudan, 12 juin 2025, SC/16086.
4. Conseil de sécurité, déclaration à la presse sur le Soudan, 31 janvier 2025, SC/15988.
5. Haut-Commissariat aux droits de l’homme, déclaration sur le risque d’offensive des RSF contre El Fasher, 22 janvier 2025.
6. Déclaration du Coordonnateur des secours d’urgence de l’ONU sur la situation à El Fasher, 26 octobre 2025.
7. Déclaration de l’équipe humanitaire pays sur les attaques contre les civils à El Fasher, 28 octobre 2025.
8. Bureau du Procureur de la CPI, communications récentes sur l’enquête en cours au Darfour.

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