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Le droit international pénal : juger et construire la justice au niveau mondial

Sommaire

Le droit international pénal (DIPénal) est la branche du droit international qui vise à réprimer les crimes qui affectent l’humanité dans son ensemble : génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crime d’agression. Il se distingue des autres branches du droit par sa finalité répressive : là où le droit international humanitaire cherche à limiter les souffrances pendant les conflits et le droit des droits de l’homme à protéger la dignité en temps de paix, le droit international pénal cherche à tenir les individus personnellement responsables de violations particulièrement graves.

Ce domaine, longtemps délaissé ou limité à des initiatives ponctuelles, a véritablement émergé au XXᵉ siècle et s’impose désormais comme l’un des instruments clés de la lutte contre l’impunité.

1. Les origines du droit international pénal : de Nuremberg à la justice internationale contemporaine

Le DIPénal trouve son acte fondateur dans les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo (1945–1948). Pour la première fois, des dirigeants d’États sont jugés devant une juridiction internationale pour des crimes commis dans le cadre d’un conflit armé. Trois notions essentielles y sont consacrées :

  • la responsabilité pénale individuelle en droit international ;
  • l’impossibilité d’invoquer la fonction officielle ou l’ordre hiérarchique pour se soustraire à la justice ;
  • la reconnaissance de trois catégories de crimes internationaux : crimes contre la paix, crimes de guerre, crimes contre l’humanité.

Après la Guerre froide, l’intérêt renaît avec la création par le Conseil de sécurité de l’ONU de deux tribunaux ad hoc : le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en 1993 et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en 1994.
Leur jurisprudence a profondément structuré le DIPénal contemporain.

2. Le Statut de Rome (1998) et la Cour pénale internationale : le tournant institutionnel majeur

La création de la Cour pénale internationale (CPI) en 1998 marque un moment décisif. Pour la première fois, une juridiction pénale internationale permanente voit le jour, compétente pour juger les individus accusés des crimes les plus graves.

La CPI repose sur quatre piliers conceptuels :

La compétence matérielle

Elle couvre :

  • le génocide, c’est-à-dire l’intention de détruire un groupe protégé ;
  • les crimes contre l’humanité, commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile ;
  • les crimes de guerre, correspondant aux violations graves du droit international humanitaire ;
  • le crime d’agression, ajouté en 2010 et opérationnel depuis 2018.

La compétence territoriale et personnelle

La CPI peut juger les crimes commis :

  • sur le territoire d’un État partie au Statut de Rome ;
  • par un ressortissant d’un État partie ;
  • ou à la suite d’un renvoi par le Conseil de sécurité, même si l’État concerné n’est pas partie.

Le principe de complémentarité

La CPI n’intervient que si les juridictions nationales ne peuvent pas ou ne veulent pas poursuivre les auteurs. Ce principe renforce l’idée que la justice internationale ne remplace pas la justice nationale, mais agit en support.

L’indépendance du procureur et des juges

La CPI dispose d’un Bureau du Procureur autonome, chargé d’ouvrir des enquêtes, d’engager des poursuites et de dialoguer avec les États.

3. Les crimes internationaux : une architecture normative précise

Le DIPénal s’est progressivement doté d’un ensemble de définitions détaillées qui déterminent les éléments matériels et intentionnels des crimes.

Le génocide

Il suppose l’intention de détruire un groupe ethnique, national, racial ou religieux. La mens rea spécifique (« intention de détruire ») en fait le crime international le plus difficile à prouver.

Les crimes contre l’humanité

Ils regroupent des actes tels que le meurtre, la torture, l’esclavage, le viol, la déportation ou la persécution, lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile.
Ces crimes ne nécessitent pas de lien avec un conflit armé.

Les crimes de guerre

Ils correspondent aux violations graves du droit international humanitaire : attaques délibérées contre les civils, mauvais traitements des prisonniers, destruction injustifiée de biens, utilisation d’armes prohibées, etc.

Le crime d’agression

Il vise la planification ou l’exécution d’un acte d’agression par un dirigeant politique ou militaire, portant atteinte gravement à la souveraineté d’un autre État. Sa portée reste limitée, car seule une minorité d’États a accepté sa compétence.

4. Les juridictions internationales et hybrides : un paysage institutionnel diversifié

Si la CPI est la juridiction permanente, elle n’est pas la seule structure du DIPénal.

Les tribunaux ad hoc des années 1990

TPIY et TPIR ont permis d’élaborer une jurisprudence riche sur les crimes internationaux, la responsabilité de commandement, la participation individuelle et les violences sexuelles.

Les tribunaux hybrides

Combinant droit interne et droit international, ils ont été créés pour répondre à des contextes spécifiques :

  • les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) ;
  • le Tribunal spécial pour la Sierra Leone ;
  • le Tribunal spécial pour le Liban ;
  • les Chambres spéciales du Kosovo.

Ces institutions ont cherché à renforcer l’appropriation locale de la justice internationale.

Les mécanismes d’enquête internationaux

Faute de tribunal, certaines situations donnent lieu à des mécanismes d’enquête indépendants (Syrie, Myanmar, Ukraine), chargés de collecter les preuves en vue de poursuites futures.

5. La responsabilité pénale individuelle : un principe structurant

Le DIPénal reconnaît la responsabilité individuelle, même pour les plus hauts dirigeants. Les chefs d’État ne disposent d’aucune immunité devant les tribunaux internationaux pour les crimes relevant de leur compétence.

Par ailleurs, la responsabilité peut être engagée non seulement pour les actes directement commis, mais aussi pour :

  • la responsabilité de commandement (manquement à prévenir ou punir les crimes commis par des subalternes) ;
  • la participation indirecte, comme l’aide, l’encouragement ou l’incitation ;
  • la planification et la conspiration.

Cette architecture vise à responsabiliser toutes les chaînes de décision impliquées dans la commission des crimes.

6. Les critiques et limites du droit international pénal

Malgré ses avancées, le DIPénal suscite des critiques récurrentes.

La sélectivité des poursuites

La CPI est parfois accusée de concentrer ses enquêtes sur l’Afrique, bien que la situation ait évolué. Les renvois du Conseil de sécurité sont également influencés par des considérations géopolitiques.

L’absence de coopération

La CPI dépend des États pour arrêter les suspects. Certains, pourtant parties au Statut, ont refusé d’arrêter des dirigeants recherchés.

Les tensions avec la souveraineté étatique

La justice internationale peut être perçue comme une ingérence. Les États puissants rechignent souvent à se soumettre à une juridiction internationale.

La lenteur et la complexité des procès

Les crimes internationaux, par leur nature, impliquent des enquêtes longues et des volumes massifs de preuves.

7. Enjeux contemporains : nouvelles formes de violences et extension du champ pénal international

Le DIPénal doit s’adapter à des réalités inédites :

  • la répression des violences sexuelles utilisées comme armes de guerre, désormais mieux reconnue ;
  • la question de la responsabilité des entreprises pour les violations commises dans les zones de conflit ;
  • les crimes environnementaux massifs, pour lesquels certains plaident en faveur d’un « écocide » international ;
  • les crimes liés à l’intelligence artificielle, aux drones, à la cyberguerre ou aux systèmes autonomes ;
  • la collecte numérique des preuves et la lutte contre la désinformation.

Ces défis montrent que le DIPénal est un droit vivant, en constante expansion.

Conclusion

Le droit international pénal est devenu un pilier central de l’ordre juridique mondial. Né dans le contexte dramatique de la Seconde Guerre mondiale, il s’est progressivement institutionnalisé et professionnalisé, jusqu’à créer une véritable justice internationale.
S’il reste confronté à des obstacles politiques et pratiques, il demeure un outil indispensable pour lutter contre l’impunité, protéger les droits fondamentaux et affirmer que certains crimes sont si graves qu’ils concernent toute l’humanité.
À mesure que le monde change, le DIPénal devra étendre ses catégories, renforcer sa légitimité et s’adapter aux nouvelles formes de violence pour conserver son rôle essentiel.

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